Et pourtant…Comment ne pas faire le rapprochement entre l’actualité de ce début 2025 et celle, presque oubliée, de mai 1933 ? Dans les deux cas, un homme parmi les plus puissants du moment, a décidé de ce qu’il faut dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, penser ou ne pas penser. Certes ces autodafés ne reposent pas sur les mêmes fondements mais ils en reprennent les mêmes thématiques et les mêmes méthodes : destructions d’ouvrages et d’articles, pressions médiatiques et financières, manipulation des consciences, rejet des différences, haine de la science, licenciements massifs des opposants… D’une part le rejet de « l’esprit non allemand » de l’autre « Make América great again » et « América first ».
Nous qui vivons au pays des Lumières, dans la protection de la séparation des pouvoirs, mais aussi de celle des églises et de l’Etat, il nous est difficile de croire et de penser qu’un seul homme, un seul, certes biberonné par un cercle ultraconservateur aux idées ultralibérales voire libertariennes, puisse par décret, comme par un « fait du prince », décider de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est juste ou pas, de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas. Mais il faut bien se rendre à l’évidence, ces évènements ont bien eu lieu. Et s’il est trop tôt pour en appréhender toutes les conséquences, il est certain qu’ils auront des répercussions profondes et durables, certainement à l’échelle mondiale.
Au-delà de la destruction de savoirs et de la censure, du bâillonnement des élites et du retour à une forme d’obscurantisme que l’on croyait définitivement dépassé, il y a dans les deux évènements, pourtant distants de 92 ans, une autre finalité : la supériorité supposée et décomplexée d’un « peuple » sur tous les autres et la volonté d’annexer des territoires par la force ou le chantage. La Pologne, la Tchécoslovaquie, les pays nordiques, la Belgique, la France collaborationniste, les pays africains annexés d’un côté, le Canada, le Groenland, le canal de Panama et les ressources minières de l’Ukraine de l’autre.
Mais cette affaire va plus loin. Un homme, un seul, faisant fi des conventions internationales, s’autorise le droit de prélever en dehors du plateau continental américain les nodules polymétalliques du fond des mers en partant du principe que si ils n’appartiennent à personnes « c’est qu’ils sont à nous ». Les U.S.A se sont déjà dotés d’une protection juridique, fiscale et financière extraterritoriale, ce qui leurs permettent d’influencer, certains diront de bâillonner les autres pays du monde à travers des sanctions ou des pénalités. Vu d’ici l’impression est grande que ce grand pays n’est plus gouverné que par décrets présidentiels. Et ce n’est pas le silence glacial des instances de pouvoirs et de décisions (Sénat et Congrès) qui, pour l’instant, nous permettent de penser le contraire.
Certains seraient tentés de penser que tout ceci n’est après tout que l’affaire des américains. A ceux-là nous disons que les mêmes causes provoquent en tous lieux les mêmes conséquences. Si nous ne réagissons pas collectivement nous sommes condamnés à la vassalité par prédation, la perte de liberté de conscience par la censure, à l’effacement du savoir face à la croyance. Alors protégeons nos institutions, notre laïcité, la liberté et l’indépendance de la justice, et assurons-nous que certains de nos politiques ne soient pas tentés par l’obscurantisme, l’exclusion et l’absolutisme. Chacun peut agir au niveau qui est le sien, il est de notre responsabilité de voter en conséquence pour préserver notre modèle républicain qui peut, certes, être amélioré, mais qui nous a, jusqu’à ce jour, préservé des extrêmes.