Le tribunal correctionnel a jugé en comparution immédiate, ce mardi 21 septembre, trois prévenus de nationalité algérienne, tous trois poursuivis pour « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France ». Le mardi précédent 14 septembre, deux autres individus, de nationalité algérienne aussi, ont été jugés pour les mêmes motifs. Les trois prévenus, comme ceux de la semaine précédente, étaient assistés d’une interprète

Les trois personnes de nationalité algérienne dans le box ce 21 septembre 2021 ont été successivement stoppées et contrôlées par la police de l’air et des frontières à Melles le 16 , l7, puis 20 septembre.

Les constats lors du contrôle de la police de l’air et des frontières

Le premier prévenu, 21 ans, habite Alicante. Il est titulaire d’un passeport algérien,  d’un visa espagnol périmé depuis 2020, d’une autorisation de séjour pour effectuer des études en Espagne jusqu’au 21 mai 2020. Il transportait 3 passagers de nationalité algérienne sans titre de séjour, arrivés en Espagne de façon clandestine.

Le deuxième, 46 ans, avec un titre de séjour espagnol en cours de validité, est marié, avec trois enfants en Algérie. Il travaille comme saisonnier en Espagne dans des exploitations agricoles. Il avait à son bord 4 passagers de nationalité algérienne, arrivés en Espagne par bateaux clandestins (pour trois d’entre eux à Lérida, ville connue en Algérie pour y trouver des passeurs selon l’un des clandestins).

Le troisième, 58 ans, habite Alicante. Il possède un titre de séjour espagnol en cours de validité, il a une femme et 5 enfants en Algérie dont 4 sont majeurs. Il travaillerait de façon intermittente dans l’agriculture et la maçonnerie en Espagne. Il a été contrôlé avec 2 passagers de nationalité algérienne venus aussi en Espagne par bateau clandestin.

Reconnaissance partielle des faits, explications ténébreuses

Le plus jeune (21 ans) reconnait les faits pour son contrôle du 16 septembre : « j’ai essayé de leur faire passer la frontière pour avoir un peu d’argent, je ne pensais pas que cela allait me conduire devant le tribunal, je pensais avoir juste une amende ». En cours d’audience, il a admis : « quand je termine ma semaine d’études, des personnes me disent que des personnes veulent passer en France. Je prends une voiture (en location) et je les amène ».

Son téléphone a « borné » à Lille, Dunkerque, Toulouse et Nîmes au mois d’août, en Ile de France, à Lille, à Marseille et à Toulouse en septembre (à 4 reprises à Melles entre le 5 et le 16 septembre).

Le deuxième (46 ans) dit avoir été sollicité au cours d’une conversation par l’un des passagers pour qu’il les conduise gratuitement avec 3 amis à Montauban.

Il a reconnu 4 passages de personnes en situation irrégulière à qui « j’ai servi de taxi quand il n’y avait pas d’avion en Espagne pour aller en Algérie (pendant la crise du Covid) ». La présidente s’étonne qu’il fasse le taxi avec une voiture en très mauvais état (les policiers l’ont qualifiée de « poubelle »).

Trois passages payés par carte bancaire au péage de l’autoroute en France ont été repérés au mois de juillet. Le téléphone du prévenu a aussi « borné » trois fois en France entre le 28 août et le 17 septembre.

Le troisième (58 ans) dit qu’il a été mis en relation avec ses passagers par une personne en région parisienne, une personne à laquelle il aurait téléphoné pour avoir des nouvelles de son fils dont il ignorait la situation (son fils a été emprisonné à Seysses pour plusieurs passages de clandestins. Le prévenu déclare avoir ignoré l’activité de son fils qu’il aurait dénoncée à la police s’il en avait eu connaissance).

La présidente : « comment s’appelle cette personne (qui l’a mis en contact avec ses passagers)? », « je ne sais pas », « comment avez-vous son numéro de téléphone sans connaitre son nom ? », « c’est la famille, je connais plein de monde, c’est un peu tout le monde qui a mon numéro de téléphone, des personnes m’appellent que je ne connais pas », « comment expliquez-vous qu’il y ait dans votre répertoire des numéros de téléphones de personnes , en plus de votre fils, interpellées pour avoir fait passer des clandestins ? », « je ne sais pas ce qui se passe avec mon téléphone, ni qui m’appelle ».

Son portable a été localisé entre le 5 et le 26 juillet dans l’Hérault, puis dans l’Aude (« je me suis trompé de route » a-t-il spécifié), ensuite à Melles et à Toulouse.

Circulation d’argent opaque, aveux parcellaires,  

Au plus jeune, la présidente précise que des transferts d’argent Western Union d’un montant de 2757,00 euros ont été identifiés entre mars et septembre 2021. La présidente observe que ses passages à Melles entre le 5 et le 16 septembre ont été systématiquement précédés de mouvements d’argent (de 100 à 200 euros) dans les 24, 48 ou 72 heures précédentes. Il explique la circulation des sommes d’argent par des mouvements entre lui-même, son père et des amis de son père.

Quand la procureure lui demande le prénom et le nom d’un ami de son père, il déclare : « je ne connais pas leurs noms de famille, seulement les prénoms ». La procureure : « Combien prenez vous par clandestin ? », « 100 à 150 euros par clandestins ». La procureure : « l’un des clandestin a dit avoir payé 300 euros ».

Le deuxième n’a pas permis l’identification de transferts d’argent. A la procureure qui lui demande «concrètement qui vous payait et comment ? », il répond « les personnes que je transporte, ou par l’intermédiaire d’une personne, parfois ils me payent au pays ». La procureure insiste: « jamais de virements bancaires ? », « jamais ». Le prévenu a reconnu : «j’ai convenu avec 3 personnes qu’elles allaient me donner de l’argent à l’arrivée à Toulouse, la quatrième personne a donné de l’argent à un intermédiaire».

La procureure en conclut que l’intéressé prend la précaution de se faire payer uniquement en espèces « sonnantes et trébuchantes ».

Le troisième assure que toutes les personnes transportées « devaient me donner 200 euros une fois arrivées sur Toulouse, elles m’ont dit on va t’aider pour les frais ».

L’un des 2 clandestins transportés a déclaré lui avoir remis 200 euros. Le passeur avait 245 euros sur lui. Il explique : « je partais pour Toulouse (d’Alicante), il me faut de l’argent pour la route et pour manger ».

Après les réquisitoires du ministère public et les plaidoiries de l’avocat, les prévenus sont tous reconnus coupables des faits reprochés.

Verdicts

Pour le plus jeune (21 ans), 4 mois d’emprisonnement avec maintien en détention et interdiction de séjour en France pendant 2 ans. La présidente souhaite qu’il prenne ainsi conscience de la gravité des faits.

Avant que les juges ne se retirent pour le délibéré, il avait manifesté le souhait de retrouver en Espagne sa sœur, sa résidence, de renouveler son titre de séjour (expiré depuis mars 2020), de poursuivre ses études et passer ses examens (son autorisation de séjour pour effectuer des études en Espagne a expiré en mai 2020) : « je pense que la prison va m’enfoncer dans certaines choses. Je vais y être perdu ». Il a accueilli le verdict avec un calme et une froideur étonnante.

Pour le deuxième (46 ans), 6 mois d’emprisonnement, maintien en détention et interdiction de séjour en France pendant 2 ans.

Pour le troisième (58 ans), 6 mois d’emprisonnement avec un mandat de dépôt délivré pour un prévenu qui était arrivé au tribunal sous escorte après avoir été interpellé la veille.

Il a exprimé une certaine forme de révolte à l’énoncé du verdict: « je n’ai rien fait ». Et il a déclaré vouloir ne plus manger ni boire. Il avait fait un malaise en cours d’audience, à la suite duquel il a déclaré ne pas avoir mangé depuis 3 jours. Le médecin consulté a estimé que le prévenu pouvait poursuivre l’audience.

****

La masse d’informations recueillies en très peu de temps sur ces prévenus jugés en comparution immédiate est étonnante par sa densité. La multiplicité des déplacements des trois « passeurs »  jugés ce 21 septembre est sidérante. L’un d’eux réside à Alicante ; durant l’été,  il a sillonné la France du nord au sud, dans un triangle Lille-Marseille-Toulouse.

Les prévenus reconnaissent très partiellement les faits. Ils le font avec une extrême réticence, jusqu’à se perdre et quelquefois se trahir dans la confusion de leurs propos. Les constats avérés ressemblent à la seule partie visible d’un iceberg dont on ne connait pas finalement la véritable dimension (une discussion sur WhatsApp de l’un des prévenus semble faire état du passage d’un groupe de jeunes par la montagne).

Avec la reconnaissance à minima des faits par les prévenus, avec la difficulté de s’assurer de la véracité de leurs déclarations (souvent contredites par les clandestins acheminés), les juges sont aussi confrontés au fait que les propos mensongers ne sont pas punis par la loi. Ils doivent en démêler l’écheveau qui ressemble à un nœud gordien.

Au regard de « la gravité des faits », trafic d’êtres humains et/ou exploitation de la détresse humaine, les peines pourraient sembler dérisoires si les passeurs eux-mêmes n’étaient pas aussi des victimes probablement manipulées par un système qui les dépasse et exploite leur propre misère. Ce qui n’excuse en rien leur complicité.