Philippe Perez est un ancien officier de police dorénavant en jubilation alternative. Il parcourt maintenant le monde où sa sensibilité particulière lui permet d’effectuer de belles rencontres et de découvrir des lieux hors des chemins fréquentés. Auteur de livres photographiques, cet humaniste nous livre à travers des clichés témoins, sa vision des pays traversés. Il nous délivre sa première chronique africaine.
CHRONIQUE ETHIOPIENNE
Nous connaissons tous depuis la Communale « l’Inventaire » de Jacques Prévert qui aujourd’hui encore enchante nos yeux à sa lecture chatoyante et nos oreilles de son rythme si doux et vivant. Il y est question de toutes ces petites choses qui, pêle-mêle, sont le décor de nos vies…et de quelques ratons laveurs dont la présence espiègle et incongrue nous rappelle que seule la dérision peut nous sauver, dès lors que nous sommes conscients d’être mortels.
Il est une terre haute posée au beau milieu du continent Africain qui aurait plu à notre poète.
Une vie ne suffirait pas à en dresser l’inventaire ni à décrire les âmes braves et bienveillantes qui le peuplent. Pensez donc : un des plus anciens pays chrétiens qui soit mais aussi une contrée où toutes sortes de convictions religieuses et philosophiques se côtoient sans heurts ni disputes mortifères : à notre époque troublée cela vaut son pesant d’ostensoirs et de minarets, non ? Un pays légendaire qui aurait abrité les amours mythiques du Grand roi Salomon et de la Reine de Saba.
Le seul pays d’Afrique jamais colonisé même si les Italiens ont tout tenté avant que le grand Ménélik, l’empereur pas le rappeur, ne les renvoie, « al dente » , au septentrion de l’Abyssinie. Quand l’Europe désossait avidement tout le continent Africain, l’Ethiopie, car il s’agit bien d’elle, résistait encore et toujours à l’envahisseur. Cette république fédérale, au sens humaniste du terme, du royaume d’Aksoum où vivaient en harmonie juifs, chrétiens et musulmans, au pays de Pount et de l’encens, cette Terre aux 90 langues issues du plus profond de nos cultures, aux ethnies aussi innombrables que différentes reste une magnifique énigme dans une Afrique désorientée.
C’est ici que nous sommes tous nés, héritiers d’une aïeule très respectable, Dinknesh plus connue sous le pseudo de Lucy, hommage à une certaine beatlemania des anthropologues. Voila plus de 3 millions d’années elle donnait le coup d’envoi de l’incroyable aventure humaine : faut il lui en vouloir pour autant ?
Mais c’est aussi dans ses montagnes que naît le Nil Bleu avant d’accélérer sa course folle vers le Soudan et l’Egypte. C’est ici aussi, depuis les hauts plateaux chauds et humides, qu’une plante a conquis le monde entier : le café.
Plus tard Henri de Monfreid ou Arthur Rimbaud viendront ici vivre l’ultime aventure, celle des explorations, des trafics en tous genres et d’une certaine folie (« L’air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront » -Une saison en enfer-)
L’Ethiopie oscille entre cultures profondément africaines, racines judéo-chrétiennes et à son Orient, le mythe de l’Arabie heureuse. Il ne faut pas seulement retenir ni oublier cette terrible famine de 1984 qui bouleversa jusqu’au show biz mondial mais plutôt envisager l’Ethiopie comme une île dans le ciel, un havre en ébullition, celui d’hommes et de femmes qui n’ont jamais permis à qui que ce soit de voler leur Culture.
Alors si comme l’écrivait Alfred Capus « Tout est dans tout et réciproquement » c’est bien ici en Ethiopie qu’il faut venir décoder le sens de cet aphorisme.
Ne le dites pas à Jacques Prévert, je n’ai vu ici aucun raton laveur…à part peut être ceux qui circulent librement dans notre imaginaire. Amesseg Genalu, Merci !
Philippe Perez