Les « oubliés » des lumières

Évoquer les lumières fait resurgir le XVIII ième siècle avec les « stars » de la littérature et de la philosophie en lutte contre les obscurantismes, pour le progrès libérateur. Apparaissent ainsi, François Marie Arouet dit VOLTAIRE et son arsenal foisonnant ; Denis Diderot qui, outre une œuvre étonnante, – jacques le fataliste – reste, à jamais, l’entrepreneur tenace et infatigable de l’encyclopédie, œuvre gigantesque de 18 volumes de textes et 11 volumes de planches ; Jean le Rond, plus connu sous le nom de d’ALEMBERT qui participe à l’aventure de l’encyclopédie et rédige le discours préliminaire et l’article sur Genève ; J.J.ROUSSEAU auteur d’un essai philosophique que le tout Paris « s’arracha » – discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes – d’autres écrits comme l’Émile et du contrat social constituent des œuvres de référence. De nombreux autres auteurs et intellectuels du XVIII ième pourraient compléter la liste des penseurs qui influencèrent cette époque et leur siècle.Toutefois, leur renom et leur importance ne doit pas recouvrir de ténèbres, des « seconds rôles » qui, par leur talent, leur courage, leur détermination, ont été, pour nombre d’entre eux, les héritiers de Montaigne, La Boétie, Rabelais et les précurseurs de Voltaire, Diderot et Beaumarchais. Cinq d’entre eux nous rappellent comment ils se sont situés dans leur siècle et comment ils ont été perçus.

Qui se souvient de Pierre Louis Moreau de MAUPERTUIS. Michel Onfray le qualifie de philosophe scientiste qui propose une arithmétique des plaisirs, une mathématique des émotions, une physique des sentiments. Dans la description qu’il fait de lui, il révèle que c’est un chrétien, hédoniste et utilitariste altruiste. Utilitaire pour Maupertuis renvoie au plaisir ! Partisan de l’évitement des déplaisirs, il se rapproche des stoïciens qui prônent les plaisirs de l’âme. Il signe de nombreux ouvrages dont un sur la philosophie qu’il intitule essai de philosophie morale. Personnage contrasté, critiqué, polémique, il meurt en juillet 1759 à l’âge de 58 ans.

Qu’est devenu dans nos mémoires Julien Offray de LA METTRIE. Médecin libertin et premier philosophe matérialiste, il critique sévèrement le philosophe idéaliste qu’il dit écrire pour lui et les autres philosophes. Seize ouvrages écrits à 36 ans dont les plus connus l’homme machine , l’histoire naturelle de l’âme – qui fit scandaleet discours sur le bonheur, son œuvre majeure, qui lui valu le rejet par Voltaire et Diderot et la haute estime du marquis de Sade. Pour LA METTRIE, le bien et le mal n’existent pas dans l’absolu mais seulement dans le relatif. Aussi, affirme t il, le remord ne sert à rien, n’empêche pas la récidive et donne mauvaise conscience sur des aspects secondaires. D’où sa conclusion : il faut cesser d’éduquer au remord ! Ce bon vivant désinvolte qui préconise de rester dans le domaine de l’être et non du devoir être, réfugié à Postdam, à la cour de Frédéric II, meurt d’une indigestion en 1751, à l’âge de 42 ans.

Qui peut identifier Jean MESLIER, prêtre et philosophe, précurseur des lumières, curé d’Etrépigny durant 40 années. « Sans Dieu ni maître », il développe une théorie athée, matérialiste, communiste et révolutionnaire. Précurseur du féminisme, sans être libertin, il dénonce la tyrannie des puissants et l’imposture religieuse qui la bénit. Meslier fait apparaître la dimension politique de la philosophie dans le souci du bien public. Il plaide pour un droit immanent ( issu de la terre ) et non transcendant ( venant du ciel ). Il invite à la résistance et à la désobéissance civile. Son œuvre ne sera connue qu’après sa mort quand Voltaire décide, en 1762, la publication d’un extrait de l’ouvrage, qui compte près de 1000 pages, rédigé de son vivant sous le titre : le testament de Jean Meslier. Avant la publication, Voltaire s’accorde le droit de « corriger » le texte initial pour en faire un texte déiste et « purgé du poison de l’athéisme ». Personnage atypique, philanthrope, défenseur acharné du peuple et ennemi de toutes les formes de pouvoir et d’oppressions, le curé Meslier meurt en 1729, à l’âge de 65 ans.

Né à Paris en 1619, ce personnage, dont Edmond Rostand s’est inspiré pour sa célèbre comédie héroïque, a existé dans le Paris du 17ième. En effet, Savinien CYRANO DE BERGERAC, fut un libre penseur, philosophe de l’ironie, précurseur des philosophes des lumières. Il s’inscrit dans le XVII ième siècle qui fait entrer la société française dans, je cite : « l’accélération de découvertes intellectuelles et scientifiques qui conduiront à la révolution des pensées, réalisant la jonction entre la renaissance et les lumières ». Cyrano défend « un instinct de nature » qui nie le libre arbitre et reconnaît le déterminisme de chacun. Il affirme que la mort n’est qu’une métamorphose et que l’âme existe, qu’elle n’est pas immatérielle et que des atomes la constituent. Il restera dans l’histoire un libertin érudit qui écrivit des lettres satyriques et une comédie ( le pédant joué ) dont s’inspira Molière pour les fourberies de Scapin. Son ouvrage le plus original, l’autre monde, qualifié « œuvre d’une originalité unique dans la littérature française », se place comme un voyage initiatique, une satyre de son époque et le premier roman de science fiction. Il meurt à 36 ans victime d’un banal accident.

L’influence sur la pensée philosophique de son époque fut, à en croire les historiens du XVIII ième, considérable. Claude Adrien Schweitzer, latinisé en HELVETIUS, né en 1715, est un écrivain dit élégant et correct, à l’esprit plus logique qu’original. Il s’attire l’affection de Voltaire qui dit de lui : « vous êtes le génie que j’aime et qu’il fallait aux français. ». A la fois matérialiste et sensualiste, Helvetius n’est ni marxiste, ni communiste, ni révolutionnaire. C’est un penseur de la lutte des classes et un ardent défenseur de réformes et de lois qui concourent à l’égalité de chacun devant le bonheur et à l’avènement d’une justice qui protège l’intérêt national. De sa fonction de fermier général ( percepteur ) il constate l’appauvrissement de la France, qu’il dit contraire à l’intérêt et au bonheur de tous. En dépit de ses doctrines arides, de sa pensée pragmatique et utilitariste, Helvetius laisse le souvenir d’un homme attaché à la réforme et au pouvoir régional ( faire disparaître le centralisme monarchique ). Il meurt en 1771, à l’âge de 56 ans.

Merci à tous les auteurs qui, par leur érudition et la générosité de leurs écrits, m’ont permis ce raccourci historique attachant.

Jacques Montaldo.

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