Saint Ignan: Le cri d’alerte des éleveurs de bovins angoissés face à une pandémie annoncée

Pierre Médevielle, Élodie Reversat, Alyse Levasseur, Pierre Dulac (de g. à dr.)

Le sénateur haut-garonnais et commingeois Pierre Médevielle a sonné le tocsin au sénat le mercredi 25 octobre en interpellant le Ministre de l’agriculture lors d’une séance de questions au gouvernement. Il a alerté Marc Fresneau sur les conséquences dommageables de la Maladie Hémorragique Epizootique (MHE) sur les élevages de bovins.

Pierre Médevielle était aussi présent avec la conseillère départementale Céline Laurenties, ce jeudi 2 novembre, à la ferme de Pierre Dulac et Alyse Levasseur à Saint-Ignan.  Laurent Ducos et Élodie Reversat, respectivement président et directrice du Groupement de Défense Sanitaire (GDS) de la Haute Garonne, étaient aussi présents avec Pierre Burgan président de France Blonde d’Aquitaine Sélection.

Une maladie grave non contagieuse mais encore mal connue

La Maladie Hémorragique Épizootique est inoculée par des moucherons culicoïdes qui sont responsables de la transmission aux ruminants (sauvages et domestiques):  «une maladie qui n’a absolument aucun lien avec le Covid, comme cela a pu être dit et écrit à tort, explique Élodie Reversat. C’est une maladie qui n’est pas contagieuse entre animaux, ni transmissible à l’homme par la consommation de viande. A ce jour des connaissances, c’est le moucheron qui est le vecteur d’une vache malade vers une autre vache. Tous les ruminants en théorie peuvent être touchés, les plus gros symptômes apparaissent sur les bovins: difficultés de locomotions, boiteries, parfois de la fièvre, le plus caractéristique étant des croûtes sur le mufle, des aphtes, et cela peut dégénérer en ulcères dans la bouche. Les animaux n’arrivent plus à manger, ni boire». Avec des pertes de poids redoutables. Un taureau de l’élevage de Pierre Dulac, toujours malade actuellement, est ainsi passé de 750 à 400 kilos. Un animal peut perdre une 100aine de kilos en 24h. «Une vache qui ne mange ni ne boit, il est urgent de la soigner et on n’est pas sûr de la sauver» spécifie Élodie Reversat.

Une diffusion foudroyante aux contours incertains

Les premiers cas ont été détectés en France à la mi-septembre. Sur la ferme de Pierre Dulac, la plus touchée sur le secteur, les premiers cas, au nombre de 4, sont apparus le 28 septembre. Ils sont passés à une douzaine 4 jours plus tard, puis à une cinquantaine au bout d’un mois sur les 90 animaux que compte le cheptel. Sans pour autant voir poindre la fin de l’épidémie.

Ce 2 novembre, c’étaient 230 foyers, de 1 à plusieurs bovins, qui étaient déclarés en Haute Garonne: «le nombre de foyers est largement sous estimé», précise Élodie Reversat.  Ce sont quelques 80% des élevages qui pourraient déjà être concernés. La maladie se répand de façon foudroyante, transmise d’une vache à l’autre par les moucherons. L’épidémie menace de se transformer en pandémie avec 2000 cas déclarés en 30 jours. Il n’existe pas de vaccins, ni d’autres soins que l’administration d’anti-inflammatoires et d’antibiotiques, pour espérer une guérison qui n’est jamais sûre: «on soigne du matin au soir des bêtes perdues pour la production»  souffle Pierre Dulac qui confie, «on fait tout ce que l’on peut, mais il est difficile de voir nos animaux souffrir, dépérir, de voir les jeunes veaux de moins de 6 mois non sevrés qui ont faim parce qu’ils ne sont pas allaités par la mère». Une situation source d’inquiétudes accrues parce que ces veaux auront des retards de croissance, une baisse d’immunité qui engendrera des maladies.

De graves difficultés économiques pour les éleveurs

Les pertes enregistrées par les exploitations obèrent gravement leurs trésoreries et leurs capacités financières. La maladie nécessite des soins coûteux qui se multiplient avec le nombre de cas. D’autres coûts comme ceux de la désinsectisation sont à renouveler tous les 8 à 10 jours….

La phase de remise en forme des bêtes guéries exige du temps avec une suralimentation nécessaire de l’animal devenu squelettique, «cadavériques, et dont la valeur a été divisée par 10 pour ceux qui s’en sont sortis» selon Pierre Burgan. La capacité de reproduction des vaches est retardée d’autant, la vente de veaux et de génisses n’est possible que 16 mois après leur naissance. Ainsi, les éleveurs touchés par la maladie soignent et entretiennent des bovins sans perspective de revenu sur une période qui peut s’étendre à toute l’année 2024.

Pierre Dulac estime  pour son exploitation, une des plus touchées sur le secteur, «une perte à hauteur de manque à gagner entre 25 et 30 000 euros. A cela, il faut rajouter les frais vétérinaires, le surcoût alimentaire pour les veaux dont les mères n’ont pas de lait, et la baisse possible de revenus liés à la PAC (soit 6000 € de moins). On monte rapidement à 50 000 euros, ce qui correspond au montant que l’on se verse pour vivre pendant 2 ans en famille, avec nos 2 enfants». Le coût des soins vétérinaires en un mois, depuis la déclaration de la maladie, est aussi élevé que le coût habituel sur une année pleine…

Cette situation menace gravement la pérennité de l’entreprise, celle de Pierre Dulac et de sa compagne, comme celle de bien d’autres dans le Comminges (mais pas seulement…) menacé de voir disparaitre les élevages piliers de la vie économique locale.

Un drame social en suspens

Pierre Burgan alerte sur les risques de crise sociale et sa cohorte de drames humain: «il y a des éleveurs qui ont décidé de ne plus soigner, parce  qu’ils n’ont pas les moyens. Ils sont fatigués physiquement et mentalement. Quand un éleveur laisse mourir ses animaux, je ne suis pas sûr que l’éleveur lui-même soit en très grande santé mentale. C’est aussi important d’alerter sur cette détresse. Nos vétérinaires servent aujourd’hui à la fois de soigneurs pour les bêtes, d’assistantes sociales, et même d’amis. Quand un véto appelle à 21h00, il n’appelle pas pour prendre des nouvelles de la vache. Il appelle pour savoir comment vous allez. L’omerta qui règne sur cette maladie règne aussi sur le mal-être des éleveurs qui ne sont pas accompagnés dans cette crise, et c’est dramatique». Pierre Dulac souligne l’importance du GDS Haute Garonne qui joue aussi ce rôle de soutien et d’accompagnement, «comme les collègues moins touchés qui appellent aussi pour prendre des nouvelles». Pierre Burgan poursuit: «il est primordial  d’avoir rapidement des signaux positifs de l’État pour que les éleveurs puissent voir un petit peu le bout du tunnel».

Des compensations financières urgentes pour les élevages officiellement déclarés

Le gouvernement a connaissance du problème, «ce que l’on attend aujourd’hui, déclare Pierre Médevielle, c’est l’étude de mesures prophylactiques, si on le peut car ce n’est pas facile avec des moucherons, et surtout le déblocage d’enveloppes financières compensatoires parce que nous sommes dans l’urgence pour les élevages les plus touchés. On va aussi continuer à avancer sur la connaissance de la maladie avec l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et avec les services vétérinaires parce que nous ne savons pas encore tout sur cette maladie. Examiner aussi ce à quoi se préparer pour 2024. Mais l’urgence, c’est la situation économique des élevages!».

Ce même jeudi 2 novembre, le ministre de l’Agriculture Marc Fresnau était lui aussi en visite dans une ferme des Pyrénées Atlantiques, à Monein: «l’État sera au rendez-vous dans la prise en charge des uns et des autres» a-t-il assuré. Mais il y a urgence, alertent dans un même cri les agriculteurs concernés et Pierre Médevielle dont le tocsin, depuis le sénat le 25 octobre, semble avoir provoqué un écho qu’il faut espérer salvateur.

 

Élodie Reversat, Alyse Levasseur, Pierre Dulac, Pierre Médevielle, Céline Laurenties.

 

Élodie Reversat, Céline Laurenties, Élisabeth Rouède maire de Saint-Ignan, Pierre Médevielle, Pierre Burgan, Laurent Ducos, Alyse Levasseur, Pierre Dulac.

 

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