Tribunal Saint Gaudens : prison ferme pour deux trafiquants de drogue taiseux

Palais de Justice de Saint Gaudens

Jeudi 8 décembre, quatre dossiers concernant huit prévenus  étaient inscrits au rôle du tribunal correctionnel pour la journée. Trois dossiers (5 prévenus) ont fait l’objet de renvois, le quatrième a donné lieu à l’audition de deux prévenus impliqués, avec une tierce personne en fuite,  dans une affaire de trafic de stupéfiants.

Deux prévenus de nationalité albanaise, extraits de prison, se sont installés dans le box, accompagnés d’agents pénitentiaires. L’un, 23 ans, faisait l’objet d’un mandat de dépôt (décision de mise en détention) depuis le mois d’août 2021; l’autre, 38 ans, a été interpellé et emprisonné au mois de février 2022. Tous deux sont natifs de Tirana (Albanie) et tous deux on été jugés ce 8 décembre pour la même affaire. Leurs propos étaient traduits par une interprète agréée.

Le plus jeune a été contrôlé le 15 août 2021 à Saint Béat par le service des douanes qui a découvert dans la Peugeot 407 un produit composé d’un mélange d’amphétamines et de caféine pesant 5,9 kg, ainsi que plusieurs téléphones portables pour autant de lignes téléphoniques.

Des investigations plus poussées ont permis aux enquêteurs de relier l’un des téléphones portables à un individu d’origine albanaise contrôlé le jour même à bord d’une Mercedes Classe A. Ce deuxième personnage était en compagnie de deux autres dont l’un est recherché depuis le 24 février 2022, la même date à laquelle le conducteur de la Mercedes a fait l’objet d’un mandat de dépôt.

Six mois d’enquête et d’écoutes téléphoniques

Six mois se sont écoulés entre le contrôle effectué à Saint Béat sur le conducteur de la Peugeot 407 en août 2021 et l’incarcération du conducteur de la Mercedes en février 2022.

Pendant ce laps de temps, les enquêteurs ont découvert que le chauffeur de la Mercedes faisait déjà l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) et qu’il maintenait un contact téléphonique continu avec son compatriote plus jeune, emprisonné mais en possession d’un téléphone portable interdit.

Les écoutes ont révélé que l’ainé en liberté donnait des conseils  au cadet en prison sur les propos à tenir aux enquêteurs, insistant pour qu’il maintienne une certaine version auprès du juge d’instruction, lui faisant comprendre aussi qu’il lui ferait parvenir des instructions par l’intermédiaire de son avocat. Il lui affirmait que ce dernier s’était engagé à le faire libérer rapidement. Il l’a aussi invité à faire preuve de prévention à l’égard de l’interprète: «Tu ne parleras pas en présence de l’interprète qui n’est pas notre interprète».

Parallèlement, le chauffeur de la Mercedes s’est rendu plusieurs fois en Espagne depuis Montauban. Il a été interpellé et incarcéré en février 2022 pour éviter tout risque de fuite.

Des aveux minimalistes obligés

Le plus jeune, contrôlé à Saint Béat avec  les amphétamines mélangées à la caféine, a commencé par dire que tous deux se sont très peu connus en Albanie et qu’ils se sont retrouvés par hasard en France. Il a nié tout lien de parenté (pourtant les écoutes ont révélé qu’il appelle l’ainé «xio», déformation albanaise, selon l’interprète, de l’italien «zio» qui signifie «oncle»).

De son coté, le plus âgé a commencé par déclarer qu’il n’était pour rien dans les faits reprochés à son jeune compatriote contrôlé le 15 août de l’année précédente, avant de reconnaitre à minima certains éléments quand les enquêteurs ont produit des photos et des vidéos où les deux prévenus apparaissent ensemble.  Il a fini par dire à l’audience qu’ils étaient «copains d’enfance».

Tous deux ont fini par reconnaitre qu’ils étaient en liaison depuis le départ pendant le trajet du 15 août 2021, le plus âgé dans la Mercedes précédant le plus jeune dans la Peugeot 407 pour lui fournir des informations et lui prodiguer des conseils.

Un comparse pour paratonnerre…

Après s’être obligés à en dire le moins possible, à se limiter à des aveux obligés face aux éléments produits par les enquêteurs, les deux prévenus se sont rejoints pour expliquer ou justifier leur inertie, leurs silences et leurs mensonges, par la contrainte et les menaces dont ils avaient (auraient) été l’objet, eux-mêmes et leurs familles.

Ils ont attribué la conception et l’organisation de leur road-movie délictueux entre la France et l’Espagne au troisième comparse qui fait l’objet d’un mandat de recherche…et dont l’un des deux prévenus, le plus âgé, a déclaré en audience qu’il est en fait en prison en Albanie!

Des techniques de trafiquants «professionnels»

Le procureur a relevé un comportement et des techniques de trafiquants professionnels, à l’image des multiples téléphones utilisés, des cartes sim changées pour déjouer la localisation, du recours à une voiture ouvreuse et porteuse significatif  d’une expérience organisationnelle et de la conscience des risques encourus (tant de la part des douaniers que de potentiels concurrents).

Le procureur a requis 30 mois d’emprisonnement dont 10 assortis d’un sursis pour le plus âgé, 18 mois d’emprisonnement assortis de six mois de sursis à l’encontre du plus jeune, transporteur du produit stupéfiant, le maintien en détention des deux, et leur interdiction du territoire français pendant 5 ans, avec une amende douanière de 29 500 euros et la confiscation de la Peugeot 407.

Une plaidoirie réduite aux arguties sémantiques

L’avocat du plus âgé s’est élevé contre la lourdeur du réquisitoire. Il a invoqué la nature du produit retrouvé, «une substance blanche, pâteuse, collante», sans précision fournie sur la proportion respective d’amphétamines et de caféine. Il a mis en cause la gravité du trouble généré à la santé publique du fait du manque d’information sur «le taux de pureté des amphétamines», il a relativisé le trouble porté à l’ordre public comparé à celui qui est généré par les nombreux guetteurs et vendeurs de drogue dans certaines cités.

Il a aussi contesté l’éventuel lien de parenté entre les deux individus en soutenant que le terme «xio» utilisé dans leurs échanges téléphoniques par les deux impétrants n’avait rien à voir avec le terme albanais signifiant «oncle», ignorant ainsi l’explication de l’interprète agréée qui n’a pas pu s’empêcher de dodeliner du chef en guise d’étonnement face à la remise en cause de sa compétence et de son professionnalisme.

L’avocate du plus jeune des deux prévenus a aussi invoqué l’absence de lien de parenté avec l’autre prévenu et l’absence «de précision sur le caractère de pureté du produit». Elle a fait état du rôle très ponctuel du jeune homme qui a fait «un mauvais choix (…) sur fond de misère sociale et financière», pour une rémunération de «2500 ou 3000 euros, on ne sait pas trop».

Le verdict des juges du siège plus sévère que les réquisitions du ministère public

Le tribunal a condamné le plus âgé à 36 mois de prison ferme et 5 ans d’interdiction du territoire, le plus jeune à 24 mois de prison ferme et 3 ans d’interdiction de territoire. Tous deux ont donc été maintenus en détention et condamnés de surcroît solidairement à une amende douanière de 29 500 euros. Les scellés (téléphones portables et Peugeot 407) ont aussi été confisqués.

 

 

 

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