La psychiatrie de la Haute Garonne s’effondre…Un cri d’alarme du collectif des psychiatres publics

Ne plus pouvoir apporter un secours satisfaisant aux patients. Une frustration quotidienne
Ne plus pouvoir apporter un secours satisfaisant aux patients. Une frustration quotidienne

Un français sur trois aura recours à des soins en santé mentale au cours de sa vie. Un français sur deux aura un proche, un parent, un conjoint, un enfant présentant des difficultés psychiques. En Haute-Garonne l’explosion démographique des vingt dernières années entraîne l’effondrement de la filière des soins psychiatriques. Soigner 1,4 millions de personnes avec les moyens pour 800 000, relève de l’impossible.

Les psychiatres publics défendent pouvoir vous soigner, pouvoir vous accueillir dans des délais raisonnables, pouvoir vous écouter autant que nécessaire, pouvoir vous accompagner. Ils ne peuvent pas le faire, le regrettent et ont besoin de votre aide

Un plan d’urgence pour la Haute-Garonne est demandé par le collectif qui sollicite le soutien des citoyens.

Voici la lettre ouverte à la Ministre de la Santé du Collectif des psychiatres publics de la Haute-Garonne, signée par 96 psychiatres y exerçant :

« Aujourd’hui, les psychiatres publics de la Haute Garonne, confrontés à l’impossibilité d’assurer leurs missions de soins auprès du public se voient contraints de partager le « dégât des lieux » de la situation locale.

Psychiatres des Hôpitaux publics, nous avons été particulièrement intéressés par les perspectives de la feuille de route « Santé mentale et Psychiatrie » et plus globalement du plan « Ma santé 2022 » afin de promouvoir sur le territoire national les actions de prévention et garantir l’accessibilité, la qualité et la sécurité des soins. Ces perspectives auxquelles on ne peut que souscrire se heurtent toutefois aux réalités de notre territoire.

Les équipes de secteur qui assurent depuis près de cinquante ans, sur le principe de la responsabilité géo-populationnelle, l’accès et la continuité des soins en santé mentale, se retrouvent confrontées sur notre département aux plus grandes difficultés pour accomplir leurs missions.

Nos missions, rappelées dans votre Feuille de Route restent la prévention, l’accessibilité aux soins, leur qualité et leur sécurité, quatre fondamentaux qui font consensus dans notre profession et notre quotidien auprès des patients.

La Haute Garonne se caractérise par un double mouvement, d’une part sa métropolisation autour de Toulouse et d’autre part son explosion démographique (+ 49% d’habitants en 20 ans). Depuis 25 ans, elle compte 8 secteurs de psychiatrie publique. Ces secteurs, initialement pensés et dotés de moyens pour assurer les missions de santé mentale pour une population de 75 000 habitants sont confrontés actuellement aux besoins de soins d’une population de 170 000 habitants sans aucun ajustement des moyens.

Un calcul simple pourrait laisser penser que près de 800 000 personnes (de Toulouse et sa périphérie) seraient ainsi restées sans soins, mais les équipes de psychiatrie publique ont tenté de répondre au fil des années aux besoins de la population, aux évolutions de notre discipline et du monde contemporain en développant des dispositifs et des organisations innovantes, tout en faisant évoluer leurs pratiques.

Madame la Ministre, vous rappelez l’importance de l’accessibilité aux soins.

La réalité des habitants de la Haute Garonne est la suivante :

– 3 à 4 mois d’attente pour un rendez-vous avec un psychiatre en Centre Médico Psychologique, quand c’est possible : un nombre croissant de CMP ne prenant plus de nouveaux patients par manque de psychiatres et d’infirmiers.

– Aucune réactivité ni intensification de suivi possible lors de l’émergence d’une crise (suicidaire, délirante…) par manque de rendez-vous disponibles

– Les familles sont confrontées à des délais de soins pour leurs enfants de plus d’un an, deux ans d’attente pour une place en Hôpital de Jour et les soins proposés y sont dégradés.

Nul dans notre domaine de compétence n’ignore l’urgence de la disponibilité extrême et la réactivité nécessaire lors des crises suicidaires, la détresse des patients et de leurs familles face aux troubles psychiques ou les conséquences d’un retard de soin. Tous ces éléments contribuent à aggraver les troubles, leurs séquelles, leur coût humain et social.

Depuis 20 ans, nous sommes invités à « améliorer nos organisations et nos pratiques ». L’ensemble des praticiens publics se sont déjà saisis de cet engagement.

L’inadéquation des moyens face à l’afflux de population nécessitant des soins a conduit à une inévitable asphyxie de tous les dispositifs de soins et, à l’image de tant d’hôpitaux, à la cristallisation de cette détresse autour de l’unique service d’urgence psychiatrique du département.

Comme vous, nous exigeons la qualité et la sécurité des soins. Cette exigence se heurte à la réalité des images de notre quotidien, source de conflit de valeur majeur pour notre profession :

– Être réduit à devoir réaliser la contention mécanique d’un patient sur un brancard faute de lit adapté pour l’accueillir dans un espace sécurisé.

– Faire dormir des patients sur des chaises dans des bureaux de consultation d’urgence par manque de lits ou n’avoir à leur proposer qu’une chambre d’isolement à défaut d’une chambre décente adaptée à leur état de santé.

– Hospitaliser un enfant de 15 ans dans un service pour adultes

Et tout cela dans l’attente de pouvoir être admis dans des unités d’hospitalisation saturées, confrontées à un sureffectif chronique, compromettant l’attention, la vigilance et l’exigence de soins de qualité auxquels ils pourraient prétendre.

Comment s’impliquer dans les actions de prévention, enjeu majeur de notre discipline quand notre quotidien nous contraint à une logique de “Damage Control” permanente ?

Madame la Ministre, chers concitoyens, nos patients, vos enfants, vos proches ne méritent pas que l’on néglige ainsi leurs droits, leur dignité, leurs besoins de soins et leur sécurité. Le constater en tant que soignant est devenu trop insupportable.

Nous, praticiens de terrain et quotidiennement au contact des usagers, des patients et de leurs familles, souhaitons rester au service du public au sein des dispositifs sectoriels qui ont montré leur pertinence et leur utilité pour répondre aux besoins de la population et qui restent le seul recours pour les patients souffrant des pathologies les plus graves mais aussi pour les plus précaires, les plus isolés, sans aucune discrimination financière.

Madame la Ministre, chers concitoyens, il y a urgence.

De mois en mois, des soignants pourtant très engagés dans les missions publiques renoncent à celles-ci devant l’impossibilité d’accomplir leur travail, la situation ici étant irrespirable et fragile.

Tellement fragile, que chaque départ en retraite, chaque absence pour maternité, chaque arrêt de travail d’un praticien en épuisement professionnel, non remplacé, se traduit par des sollicitations supplémentaires venant s’ajouter aux missions déjà lourdes de chaque médecin comme actuellement sur le service des urgences du CHU de Toulouse qui est en grande difficulté pour stabiliser une permanence médicale minimale : ici, la pénurie médicale ruisselle de toute part.

Nous nous sommes réjouis de la nomination d’un délégué ministériel pour la Santé Mentale, de l’intérêt porté par le gouvernement et les représentants de la nation, à notre discipline et à ses moyens et nous espérons que ce courrier saura attirer votre attention sur la perte de chance et l’inégalité de l’accès aux soins psychiatriques sur notre territoire et l’inquiétude que nous exprimons pour la continuité de l’exercice de nos missions auprès du public.

Madame la Ministre, nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez à l’urgence de la situation en Haute-Garonne et des actions que vous mènerez. Nous profitons de cette occasion pour vous renouveler l’assurance de notre plus haute considération. »

Pour le Collectif des psychiatres publics de la Haute Garonne

Dr Catherine CHOLLET – Dr Marie FRERE – Dr Tudi GOZE – Dr Stéphanie LAFONT RAPNOUIL – Dr Pascal MARIE – Dr Anne Hélène MONCANY – Dr Nicolas NAVARRO

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