La laïcité au péril de la désunion

La laïcité au péril de la désunion

Les nerfs sont à vifs. Les laïcs s’invectivent par médias interposés. L’esprit de querelle l’emporte sur l’esprit de raison. Nous en sommes revenus au temps où l’on pouvait opposer les bons et les méchants, ceux qui ont raison et ceux qui ont tort. Le résultat de ces joutes ne fait aucun doute. Le grand perdant sera la laïcité. La discorde interne est mère d’infortune et les opposants à la laïcité n’ont qu’à se frotter les mains. Ils attendent que le fruit soit mûr pour qu’il tombe de lui même. Il suffira alors de se baisser pour le ramasser.

Comment en sommes nous arrivés là ?

Quel cauchemar nous emporte au bout de sa nuit ? Au-delà de tout ce qu’on peut dire, il y a une question qui n’est pas soluble dans l’analyse rationnelle et prédictive. Cette question se résume à savoir ce que l’avenir nous prépare. Les hommes font l’Histoire selon la formule célèbre, mais ne savent pas l’Histoire qu’ils font. Les décisions d’aujourd’hui doivent se comprendre à la lumière de demain, tout en sachant que demain se construit à travers les choix présents. Nulle science, nulle certitude ne délivreront donc les décideurs de la nécessité de faire un pari, mais c’est dans le pari que l’homme se grandit : pari que la France ne pouvait pas avoir perdu en 1940, pari que les droits de l’homme n’étaient pas négociables aux pays du socialisme réel, pari que l’apartheid était condamné quel qu’en fût le prix à payer.

Pari que le monde ne doit pas renouer avec la tyrannie des dogmatismes, la résurgence de l’obscurantisme, l’instrumentalisation idéologique de la religion, pari que le monde ne doit pas renoncer à la liberté d’expression, pari que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas une chimère ; quoi qu’en pensent les autorités qui s’emploient à raviver le fantasme d’une société bridée et peut-être un jour bâillonnée. Qui dit pari dit incertitude, risque d’échouer mais le pari exprime aussi une vision prospective du monde, une orientation que l’on cherche à faire partager dans le souci de rassembler. Quitte à ce que cette ambition frustre les esprits sceptiques ! Il sera toujours temps de leur rendre raison si l’on s’est trompé.

Voilà pourquoi la laïcité mérite mieux qu’une gestion court-termiste dépourvue de tous sens de l’anticipation, indifférente au monde à venir et qui se contente de penser que demain sera la reproduction d’aujourd’hui, ignorant les transformations silencieuses qui sont à l’œuvre.

Alors oui, au delà de constats rassurants et conservateurs, au-delà d’une certaine forme de pusillanimité teintée d’un fort esprit de compromis, il convient de rappeler les règles qui font l’esprit de la laïcité, des règles qui concourent à émanciper les individus et leur permettront de faire l’apprentissage de la liberté. Des règles qui rappellent que toute revendication ne vaut que dans le respect d’un vivre ensemble opposé au vivre séparé que nous prépare la juxtaposition des communautés. Des règles à travers le respect desquelles les individus seront capables de produire un authentique universalisme né de leur capacité à s’unir au service du bien commun.

Voilà ce qui doit nous rassembler ! Excès de pessimisme, diront certains, mais préférons le pessimisme actif à l’optimisme béat.

 

Entretien avec Daniel Keller G.O.D.F.

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