Les trois voeux, un conte sur nos grands mères par Pierre Ricard

L'écrivain conteur Pierre Ricard
L'écrivain conteur Pierre Ricard

Au 4° jour de confinement et cette perspective que cela risque de durer plus que de prévu, il est important de se distraire et de retrouver les choses simples de la vie comme écouter ou dans ce cas lire des contes issus de fin fond de nos campagnes. Les grands mères étaient différentes à l’époque. Lisez le à vos enfants confinés ils seront sages pendant… Il était une fois. A vous Pierre et merci…

D’aussi loin que je me rappelle, je vois toujours à la maison, dans la rue, autour de chez nous, des grands-mères. Les miennes bien sûr, mais aussi d’autres. Je ne les connaissais pas toutes, mais mon environnement en était peuplé.

Et puis tu sais les grands-mères ariégeoises comme on les faisait auparavant, comme, comme… des grandes mères quoi.

C’est vrai que maintenant, il est difficile de parler de nos grands-mères à nos petits enfants. Ils ne comprennent pas. Tu leur parles de nos grand-mères de 60, 65 ans, vêtues de noir, voûtées, fripées, édentées, n’attendant plus grand chose de la vie. Et les enfants ils ont une grand-mère, presque aussi jeune que leur mère, pimpante, fraîche, le dentier ravageur, l’oeil pétillant…qui rentre de voyage avec un nouveau copain et qui va s’acheter le dernier scooter à 2 roues pour aller plus vite en ville à ses multiples rendez-vous.

Non moi je vous parle des grands-mères, des vraies, comme les miennes. Qui vivaient avec les souvenirs accumulés de toute une vie qui n’avait pas été un long fleuve tranquille, loin de là. S’occupant toute la journée dans la maison, sans jamais rien demander. « De toute façon à quoi ça servirait d’avoir plus que ce qu’on a, puisque on s’en est bien passé jusqu’à maintenant, alors à notre âge » Je vous dis elles étaient la sagesse même.

La première femme dans ma mémoire qui a connu une curieuse aventure, ce fût Maria, Maria de Brassacon. Je ne l’ai pas connue, mais ma Grand mère en parlait très souvent. Elle habitait par delà la rivière et elle était la bonté faite femme. Elle vivait de trois fois rien et vous savez, quand vous multipliez un rien, même par trois, ce n’est pas grand chose. Mais elle était toujours contente, elle avait toujours un mot aimable…

Un jour, en revenant du marché où elle avait vendu des poulets, Maria traversa le parc où il y a au milieu d’une pelouse, dissimulée par des bosquets, la statue en marbre blanc de la « dame blanche » comme tout le monde l’appelle. Là, elle entendit une voix qui l’interpellait. N’en croyant pas ses oreilles ni ses yeux, Maria comprit vite que c’était la « dame blanche » qui lui parlait.

– Maria je suis contente de te voir, il faut que je te dise quelque chose. Viens prés de moi.

– Mais…e qu’es aco, de que m’arriva ? c’est vous qui me parlez ? vous êtes une breisha, une sorcière ?

– Oui Maria, c’est moi qui te parle, n’ai pas peur. Je suis une fée, une dame blanche et je veux te récompenser d’avoir mené une vie exemplaire, j’ai décidé de t’accorder la possibilité de faire trois voeux.

– Comment ça trois voeux, ça veut dire quoi ? Jésus, Marie, Joseph, mon diu, vous êtes une fée ?

– Ça veut dire que tu vas pouvoir me demander trois choses qui te feraient plaisir et je vais exhausser tes désirs.

– je vais pouvoir demander tout ce que je veux, vraiment tout ?

– Oui tout ce que tu veux. Dans la mesure de trois voeux, pas un de plus. Réfléchis bien pour ne pas te tromper et pour ne pas avoir de regrets. Il y en a qui ont eu la même possibilité, ils ont dit n’importe quoi et se sont retrouvés avec une poêle vide.

– Et il y en a qui n’ont rien eu après avoir fait les 3 voeux ? rien qu’une poêle vide, sans même un morceau de boudin dedans ?

– Oui ! c’est pour ça qu’il te faut bien réfléchir, tu n’es pas obligée de me répondre tout de suite.

– Mais c’est tout réfléchi répond Maria, j’ai mon premier voeu

– Tu es sûre, tu ne veux pas un petit moment de plus pour réfléchir ?

– Non, non, je suis prête.

– Bon je t’écoute alors, articule bien

– Comme premier voeu, je souhaite avoir assez de sagesse pour choisir les deux autres

– Tu es bien sûre de ton voeu insiste la fée ? étonnée de cette demande.

– Oui répond Maria

– Voilà, ton voeu est exhaussé, tu as maintenant la sagesse nécessaire pour choisir les 2 autres voeux. Passons au second

– C’est tout dit Maria, il n’y aura pas de second voeux.

– Comment c’est tout, tu as encore deux voeux que je peux réaliser

– Non c’est tout. Ni de second et encore moins de troisième

– Mais enfin, insiste la « dame blanche » tu as 3 voeux profites de cette aubaine !!!

– Comme premier voeu, je vous ai demandé d’avoir la sagesse nécessaire afin de ne pas me tromper pour les autres voeux. J’ai donc cette sagesse et c’est pour cela que je ne vais rien demander d’autre.

– Comme tu voudras, mais tu gâches peut-être une bonne occasion de te faire un petit plaisir.

– Oh, moi je suis la plus heureuse. Je n’ai pas grand chose, mais ce que j’ai c’est à moi, je ne dois rien à personne et ça me suffit.

Je la connais bien moi cette dame blanche. Il faut dire qu’une entrée de ce parc est située à 200 mètres à peine de la maison où vivait ma Grand mère. Alors on allait souvent y jouer.

Un jour, je devais avoir 8 ou 9 ans, un vieil oncle à mon père, l’oncle Marius est venu chez mes parents passer quelques jours. L’oncle Marius, c’était le « poète » de la famille, un peu original. Quand je l’entendais parler, je pensais qu’il n’avait pas tous les fagots sous le hangar, qu’il était un peu fada quoi. On était allé se promener dans le parc et on a vu la « dame blanche » au milieu de la pelouse. Marius a semblé subjugué en la voyant. Comme un chien d’arrêt devant une caille. Il a enjambé la bordure qui protégeait la pelouse, il est allé vers la statue et s’est mis à lui parler. Je ne comprenais pas ce qu’il disait…ce qu’ils se disaient peut-être ? Ça n’a pas duré longtemps, le garde est arrivé en disant qu’il était interdit de marcher sur la pelouse.

Marius est revenu avec nous, pensif, comme préoccupé et on a continué. Après quelques pas, il s’est retourné, a regardé un moment la « dame blanche » et il a dit :

– oui une fée … j’ai parlé avec une fée.

Cette réflexion m’avait marqué et du haut de mes 9 ans. J’avais la confirmation que l’oncle Marius n’avait pas l’éclairage dans toutes les pièces.

Oui mais maintenant, avec mes cheveux qui ont blanchi, les certitudes acquises de la jeunesse, sont quelques fois remises en question.

C’est vrai que chez nous, en Ariège on dit : « las fadas an disparegut quand a sona l’angèlus ». Oui elles ont commencé à disparaître quand on a sonné l’angélus dans nos campagnes.

Est-on vraiment sûr que, les fées, les dames blanches, ont toutes disparues ?

Est-ce qu’il n’en reste pas quelques unes de ci de là, dans un restoulh, une grotte, une tutte dans la montagne ou simplement, peut-être ce soir, parmi vous ?

Vous savez que, suivant la légende, quand un homme a la chance de partager sa vie avec une fée, il ne doit jamais lui dire que c’est une « fada » au risque de la voir disparaître pour toujours. Voilà pourquoi on ne sait pas s’il en existe encore, la discrétion est de mise.

D’ailleurs, moi qui vous parle, j’ai une femme qui est…

Non, non, non, non je ne vous ai rien dit.

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